Par InfoMigrants – Marlène Panara – Publié le : 19/07/2022
Armel a quitté Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, à l’âge de 16 ans. À son arrivée à Paris, il se retrouve complètement seul et prend, au hasard, un train à la gare Montparnasse. Il l’emmènera jusqu’à Quimper, en Bretagne. C’est dans cette région qu’il rencontre Brigitte, bénévole d’une association d’aide aux jeunes migrants isolés.
« J’ai rencontré pour la première fois Brigitte il y a six ans, j’avais 16 ans. Je suivais alors les ateliers théâtre organisés par l’association dont elle faisait partie, Adjim. Je lui faisais souvent des petits comptes-rendus de ces cours que j’adorais. Il est arrivé plusieurs fois que je sois le seul élève à venir. On se retrouvait alors tous les deux et on discutait. C’est là que la confiance s’est installée entre nous. Elle m’a aidé à écrire mes premières histoires, et mes premiers sketchs.
Au bout de huit mois passés dans l’hôtel social où j’ai été hébergé pendant l’évaluation de ma minorité, j’ai reçu une réponse du département : je n’étais pas reconnu mineur. Cette décision m’a choqué, j’étais totalement abattu.
Alors que je n’avais nulle part où aller, Brigitte m’a recueilli chez elle. J’étais désorienté au début, et puis j’avais peur qu’elle me dise de partir du jour au lendemain. Mais elle m’a tout de suite rassuré : je pouvais rester autant de temps que je voulais.
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Pendant ces six mois, elle m’a appris beaucoup de choses. À faire mon lit le matin par exemple, et à cuisiner. Grâce à Brigitte, je sais faire les lasagnes, le confit de canard et la ratatouille, moi qui n’aimais pas du tout les légumes. Mais je ne faisais pas le difficile, car jamais on ne s’était occupé de moi comme ça.
En échange, je lui ai montré comment faire l’attiéké, un plat de chez moi.
On a aussi eu beaucoup de discussions sur la place des femmes dans la société. Brigitte est très féministe. Dans sa cuisine il y a beaucoup d’affiches sur le droit des femmes. Elle m’a transmis ces valeurs.
« Tout le monde m’a accepté »
C’est elle et les membres d’Adjim qui ont fait les démarches pour me scolariser. Je suis rentré en classe de seconde au lycée Saint-Joseph de Landerneau. Il n’avait jamais accueilli de migrants comme moi. Et ça s’est très bien passé, tout le monde m’a accepté.
À 17 ans, Brigitte et Adjim m’ont aidé à constituer un nouveau dossier pour mon recours devant la justice, après le refus de ma minorité. C’est eux qui ont contacté les autorités ivoiriennes et ont demandé mon acte de naissance. Grâce à ce document, le juge m’a finalement reconnu mineur. J’ai donc quitté le foyer de Brigitte pour un appartement géré par l’Aide sociale l’enfance (ASE), où je vivais avec trois autres personnes.
Lorsqu’un jeune migrant est débouté de sa minorité, il peut déposer un recours devant le tribunal pour enfants et se faire représenter par un avocat. C’est alors un juge pour enfant qui statue sur sa situation. Les recours peuvent être longs. « En moyenne, à Bobigny, [un recours] prend maximum six mois. À Evry, ça peut prendre 14 mois, pareil à Nanterre. À Paris, on a réduit les délais : on est à quatre mois », avait expliqué à InfoMigrants Ludivine Erragne, responsable du plaidoyer juridique de la mission France de Médecins sans frontières (MSF) dédiée aux mineurs non-accompagnés.
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J’ai fini le lycée en décrochant mon bac, mention ’bien’. J’étais très fier. Mais un nouveau problème est arrivé. À 18 ans, j’ai demandé un titre de séjour : il m’a été refusé. Et comme j’étais majeur, je devais aussi quitter le logement de l’ASE, où je vivais depuis un an.
Une fois de plus, je me suis retrouvé à la rue. Et une fois de plus, Brigitte m’a recueilli chez elle. Même si je l’adore, ce n’est pas vraiment ce que je souhaitais. Je voulais être indépendant, subvenir à mes propres besoins. J’étais très angoissé à l’idée d’être un poids pour elle. Là encore, elle me l’a répété : ‘tu restes ici le temps dont tu as besoin’.
J’y ai passé toute ma première année de BTS.
« J’ai un double des clés »
Un an plus tard, j’ai pu m’installer dans un petit appartement, grâce aux revenus que je touche avec mes vidéos sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas énorme, mais je peux payer mon loyer.
Armel comptabilise près de 250 000 abonnés sur ses différents comptes Instagram, Snapchat et Tiktok. Le succès de ses vidéos l’ont conduit à lier des partenariats avec des entreprises, comme la marque de vêtements bretonne LËSS. Mais être sans-papiers l’empêche de développer davantage de partenariats rémunérés.
En parallèle, j’ai fait une demande de bourse à la Fondation de France, que j’ai obtenue. Cet argent m’a permis de m’acheter un ordinateur pour faire de meilleures vidéos, et aussi de me nourrir. À la rentrée, je vais commencer un bachelor de commerce en alternance. J’espère que ça m’aidera à obtenir, enfin, un titre de séjour.
Même si désormais je ne vis plus avec Brigitte, notre lien est intact. On se voit toutes les semaines. Ce qui me touche le plus, c’est cette confiance qu’elle a en moi. J’ai un double des clés de son appartement. C’est moi qui vais arroser ses plantes quand elle n’est pas là.
Je n’oublie pas non plus que c’est grâce à elle que, pour la première fois de ma vie, je suis parti en vacances. Cet été-là, on était allé à La Tranche-sur-Mer, chez sa sœur. On a aussi beaucoup visité Paris. J’ai vu le musée du Louvres, le musée de l’Homme et l’intérieur de l’Arc de triomphe. Nos séjours étaient toujours bien organisés et bien remplis.
Mais surtout, je me souviendrai toujours du soutien qu’elle m’a apporté lors de la pire période de ma vie : le décès de ma mère, en décembre 2020. C’était horrible, car je me disais que la personne pour laquelle j’avais fait tout ça, pour qui je me battais tous les jours, n’était plus là. Comme toujours, Brigitte a été là pour moi. Aujourd’hui, c’est ma deuxième maman. »